Depuis le départ des troupes françaises en 2016, une quinzaine de groupes armés ont repris le contrôle des deux tiers du pays. L’ONU craint un génocide, notamment à Bangassou, où des musulmans sont menacés d’être exterminés par des milices chrétiennes.

Depuis la fin, en 2016, de l’opération militaire menée par la France pour mettre fin à la guerre civile qui y éclata en 2013, la Centrafrique a replongé dans le chaos et l’insécurité. La relative stabilité restaurée grâce à la mission Sangaris n’est plus d’actualité. Il y a quelques jours, le secrétaire général adjoint de l’ONU pour les affaires humanitaires, Stephen O’Brien, de retour de Bangui, a tiré la sonnette d’alarme: «Les signes avant-coureurs de génocide sont là.»

Le responsable onusien a appelé à agir sans tarder, lâchant même qu’il fallait «prier pour ne pas avoir à vivre en le regrettant». Il faisait sans doute référence à Bangassou, dans le sud du pays. Plus de 2000 musulmans sont réfugiés depuis trois mois dans la cathédrale catholique de la ville et des milices anti-Balaka pro-chrétiennes menacent de les éliminer.

Religion, ethnie et pouvoir

Le responsable onusien a-t-il exagéré? La qualification de génocide est souvent difficile et répond à des critères légaux très précis. Mais il est évident que la situation peut empirer de façon dramatique. La Centrafrique n’était pas connue par le passé pour ses conflits religieux ou ethniques. Mais dans la bataille autour du contrôle des ressources minières du pays, certains des responsables des quelque quinze groupes armés ont décidé d’instrumentaliser les populations en recourant à la religion et à l’ethnie pour asseoir leur pouvoir.

Responsable de l’Afrique de l’Ouest et centrale au Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme, Scott Campbell rappelle les mesures nécessaires pour prévenir un génocide: «Il importe que le gouvernement, qui a la responsabilité première de la protection de ses citoyens, condamne publiquement et clairement toute attaque, quels qu’en soient les auteurs. Il importe aussi de garantir une protection physique aux populations menacées. Les Casques bleus tentent de fournir cette protection. La lutte contre l’impunité est aussi fondamentale.»

Si on a une preuve de l’intention génocidaire d’un acteur, cela peut suffire pour parler de génocide

Craintif, le gouvernement centrafricain hésite cependant à condamner certaines attaques de groupes armés. Il ne dispose pas non plus d’une armée et d’une police dignes de ce nom. A Bangassou par exemple, l’Etat de droit est une illusion. Professeure de droit international à l’Institut de hautes études internationales et du développement, Paola Gaeta précise: «Il y a souvent un malentendu au sujet du terme génocide. Le nombre de victimes n’est pas un facteur déterminant. Si on a une preuve de l’intention génocidaire d’un acteur, cela peut suffire pour parler de génocide.» La difficulté consiste précisément à prouver cette intention.

600 000 déplacés

Donaig Le Du, responsable de la communication de l’Unicef en République centrafricaine, était à Genève cette semaine. Elle le souligne: «On compte depuis le début de l’année 600 000 personnes déplacées.» Depuis le retrait des troupes françaises, les groupes armés qui règnent sur le pays ont repris de l’assise. Ils contrôlent les deux tiers du pays, mais ne se battent pas forcément entre eux. Leur première cible est la population civile. Il y a les ex-Séléka d’obédience musulmane et les anti-Balaka, milices chrétiennes. Mais il y a davantage que cela. Le pays a compté jusqu’à 70 sous-groupes qui concluent des alliances stratégiques fluctuantes.

Extrême pauvreté

Un enfant sur cinq est déplacé et certains le sont plusieurs fois de suite. Hors de Bangui, ils ne peuvent pour la plupart pas aller à l’école et n’ont pas accès à des soins. Le déficit en termes d’éducation est criant. «Nous avons construit avec des bâches des écoles de fortune, explique Donaig Le Du. Dans l’une d’elles, les enfants dessinaient tous des fusils et jouaient à se décapiter selon des gestes qui semblent montrer qu’ils ont assisté à de telles scènes.»

Le pays, ancienne colonie française de 4,5 millions d’habitants pour un territoire aussi grand que la France et la Belgique réunies, est plongé dans une extrême pauvreté alors que le pays regorge de ressources, en particulier l’or et les diamants. Dans l’index du développement humain de l’ONU, il occupe le dernier rang. En dehors de Bangui, l’électricité est quasi inexistante. Il n’y a pas de banques ailleurs que dans la capitale. Un enfant sur six n’atteint pas l’âge de 5 ans.

«Vide sécuritaire»

Sur le plan sécuritaire, plusieurs ONG ont écrit mardi une lettre ouverte au secrétaire général de l’ONU l’exhortant à prendre des mesures immédiates. «Au moins 821 civils ont été tués depuis le début de l’année», déplorent-elles. Elles-mêmes la cible des groupes armés, elles estiment que la Force de maintien de la paix des Nations unies, la Minusca, ne remplit pas «son mandat en raison d’un manque majeur de ressources humaines et financières».

Le CICR est lui-même confronté à de vrais défis sécuritaires, six membres volontaires de la Croix-Rouge centrafricaine ayant été tués le 3 août dernier à Gambo, dans le sud du pays. L’ONU elle-même a perdu neuf Casques bleus cette année. Chef de délégation en Centrafrique, François Sangsue le souligne: «Il y a un vrai vide sécuritaire. Pour nous, c’est une vraie contrainte.» Le défi du CICR, c’est d’identifier les acteurs influents au sein des groupes armés. 

@Le Temps

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