L’ouverture en République démocratique du Congo (RDC) d’une information judiciaire, fin mars, contre le principal rival du président hors mandat Joseph Kabila, Moïse Katumbi, pour « faux et usage de faux » parce qu’il a détenu des documents d’identité congolais pendant une période où il était Italien, a relancé la polémique sur l’interdiction de la double nationalité dans ce pays.

Il apparaît ainsi que cette double nationalité ne pose problème que si vous vous opposez au chef de l’Etat. Démonstration.

Selon l’article 10 de la Constitution de 2006 en RDC, la nationalité congolaise « est une et exclusive ». La personne qui en adopte une autre perd ipso facto la congolaise. Le 12 février 2007, l’Assemblée nationale avait décidé la création d’une commission spéciale chargée d’étudier des mécanismes d’assouplissement de l’article 51 de la loi de 2004 sur la nationalité congolaise et de prolonger le délai de trois mois qu’il prévoyait pour que les personnes ayant une double nationalité (c’était souvent le cas d’anciens exilés, rentrés au pays après la fuite de Mobutu) puissent choisir entre la nationalité congolaise ou l’autre – et, dans ce dernier cas, forcément, renoncer à leur mandat. Mais, a indiqué à La Libre Afrique.be l’ancien magistrat congolais Frédéric Bola, aujourd’hui juriste au ministère belge de l’Intérieur, « cette commission spéciale n’a jamais vu le jour et aucun texte de proposition de loi n’a été soumis à l’Assemblée nationale pour prolonger le délai de trois mois prévu par la loi de 2004, lequel était déjà échu depuis le 18 février 2005. En conséquence, il n’y a jamais eu de moratoire en février 2007».

Cela, c’est le point de vue légal. Mais la Majorité présidentielle en a un autre.

Moïse Katumbi dans le collimateur

Moïse Katumbi, qui avait été en 2006 le mieux élu des parlementaires, est en butte aux persécutions depuis qu’il est devenu opposant. En exil forcé en raison d’accusations judiciaires généralement estimées complaisantes, il a annoncé sa candidature à la présidentielle, programmée (cette fois) pour le 23 décembre prochain, mais la Majorité présidentielle estime qu’il ne peut être candidat, en raison de la nationalité italienne qu’il a adoptée en 2002 avant d’y renoncer en janvier 2017. « Les candidats au sommet de l’État ne doivent (…) faire l’objet d’aucun doute juridique sur leur nationalité. Il est dès lors évident qu’aucun candidat qui a eu une nationalité étrangère, y a, en toute hypothèse, renoncé sans faire une demande formelle pour recouvrer la nationalité congolaise ne peut être partant aux prochaines élections présidentielles« , a indiqué M. Atundu Liongo, le porte-parole de la majorité présidentielle.

Selon le ministre de la Justice du gouvernement de Kinshasa, Alexis Thambwe, pour recouvrer sa nationalité congolaise, Moïse Katumbi doit introduire une requête auprès de ses services, ce qu’il n’a pas fait. L’opposant, placé en tête des intentions de vote par les sondages de Berci, serait donc apatride. Le procureur de la République a ouvert une information judiciaire à son encontre pour « faux et usage de faux » pour s’être dit Congolais.

46 sénateurs seraient des Belges

Il est cependant loin d’être seul dans ce cas. Ces derniers jours, les réseaux sociaux ont diffusé la liste des 108 sénateurs « supposés être rd-congolais », parmi lesquels « figurent 46 Belges » – dont des membres de la Majorité présidentielle, parfois très connus, sans que cela leur ait posé le moindre problème légal, ni valu des poursuites pour « faux et usage de faux ». La Libre Afrique.be a, elle, eu vent d’autres personnalités du régime dans le même cas, ministres et anciens ministres, après celui de Samy Badibanga, Premier ministre de décembre 2016 à avril 2017.

http://www.lalibre.be/actu/international/un-belge-a-la-tete-du-nouveau-gouvernement-congolais-qui-compte-67-membres-58598667cd70fa7e37c4eeb6

Ainsi, Lambert Matuku, ministre du gouvernement Badibanga et, aujourd’hui, ministre de l’Emploi, du Travail et de la Prévoyance sociale dans celui de Bruno Tshibala, est Belge depuis le 10 novembre 2010 (Moniteur belge du 15 déc. 2005, page 53840). Il est membre du Palu, parti allié des kabilistes jusqu’il y a peu.

Maguy Rwakabuba, vice-ministre dans les gouvernements d’Augustin Matata et Samy Badibanga, est aujourd’hui vice-ministre du Budget de M. Tshibala. Membre de la Majorité présidentielle, elle est Belge depuis le 12 octobre 2001.

Willy Mishiki, vice-ministre de l’Energie du gouvernement Badibanga, est Belge depuis le 2 août 2002 (Moniteur belge du 13 septembre 2002, page 40592).

Jean-Claude Baende Etafe, prêtre défroqué, est devenu gouverneur de la province de l’Equateur en 2009 pour la Majorité présidentielle. Il est Belge depuis le 12 octobre 2001 (Moniteur belge du 30 octobre 2001, page 37522).

Pas de renonciation légale

Tharcisse Loseke, qui dirige une aile minoritaire et dissidente de l’UDPS ralliée au président Kabila, est Belge depuis 2010 (Moniteur belge du 19 mai 2010, page 37289). M. Loseke a bénéficié en 2017 d’un arrêté du ministre Thambwe lui rendant sa nationalité congolaise après qu’il eut affirmé, le 26 janvier 2017, avoir renoncé par lettre recommandée à sa nationalité belge. Mais, comme dans le cas de Samy Badibanga, une lettre, fut-elle recommandée, ne vaut pas renonciation: légalement (article 22 du Code de la nationalité belge), il doit en faire la déclaration en personne et « devant l’officier de l’état civil de la résidence principale du déclarant et, à l’étranger, devant le chef d’une mission diplomatique ou d’un (poste consulaire de carrière) belge », qui l’inscrivent au registre. C’est logique: la procédure d’acquisition de la nationalité belge est longue et comprend l’accord d’une commission parlementaire ad hoc; on ne l’efface donc pas par simple lettre – ne fut-ce que pour empêcher un tiers de jouer un vilain tour à la personne concernée.

Or M. Loseke n’a pas suivi cette procédure légale belge; comme Samy Badibanga, il reste donc Belge. Il faut en conclure que le ministre Thambwe ne vérifie pas la véracité des proclamations de renonciation à la nationalité belge si elles sont le fait de partisans du régime.

Feu le dissident de la Majorité présidentielle, Charles Mwando Simba, avait, lui, renoncé dans les formes légales, le 1er juin 2007, à cette nationalité belge.

Pour la Majorité, le moratoire existe

La Majorité présidentielle pense avoir réglé le problème par une déclaration, le 24 mars, de son porte-parole, Alain Atundu Liongo, selon qui le moratoire est toujours en vigueur, mais… ne vaut que pour les membres du parlement: « Il doit être entendu que le moratoire voté à l’Assemblée nationale ne concerne que les membres de cette Assemblée. Par conséquent, le débat sur le moratoire devient non seulement superfétatoire et incantatoire mais aussi et surtout de nul effet pour la suite du processus électoral ».

La sévérité du Procureur de la République congolaise à l’égard de Moïse Katumbi a un précédent. Elle avait frappé – sans surprise – un autre opposant, le député Jacques Chalupa. Elu aux législatives de 2006 pour le PPRD de Joseph Kabila, il verra son mandat invalidé (pas pour des raisons de nationalité); réélu en 2011, alors qu’il est passé à l’opposition, le député est accusé d’être Grec – donc pas Congolais. Il sera condamné le 6 octobre 2012 par le Tribunal de Paix de Kinshasa/Ngaliema à 4 ans de prison pour faux et usage de faux. En janvier 2013, la Cour suprême rabattra un an de cette sentence.

Bref: au Congo, selon que vous serez kabiliste ou non, vous serez Congolais ou non.

© Wab-infos avec La Libre

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