La société civile appelle à la mobilisation populaire lundi 21 octobre. Le président Félix Tshisekedi, malgré ses promesses, peine à convaincre.


C’est un nouveau combat qu’entame Isidore Ndaywel e Nziem, 75 ans, intellectuel respecté, à la tête du Comité laïc de coordination (CLC). Ce collectif proche de l’Eglise catholique congolaise s’est illustré par l’organisation de grandes manifestations pacifiques contre Joseph Kabila, violemment réprimées, fin 2018 et au début de l’année suivante. Désormais, le professeur Ndaywel e Nziem appelle les Congolais à se joindre, lundi 21 octobre, à la marche organisée par le CLC contre la corruption. « Tout en République démocratique du Congo (RDC) est exposé à la corruption et la situation ne fait qu’empirer, analyse l’historien. Il est urgent de se mobiliser pour que le pouvoir ne se limite plus à des annonces et à de la rhétorique servie depuis Mobutu. »

En RDC, promettre d’éradiquer la corruption et d’instaurer un Etat de droit figurent en effet dans les grands discours que se transmettent les dirigeants comme la recette magique pour séduire les institutions internationales, finalement peu regardantes sur les résultats.

La corruption est pourtant toujours ubiquiste. Elle peut prendre le visage d’un fonctionnaire tracassant, d’un militaire contraint à s’autorémunérer, d’un milicien inflexible, d’un opérateur économique incontournable, d’un élu orchestrant un réseau clientéliste, d’un conseiller du président prédateur.

Tourbillon de pratiques corruptives

Les anciens chefs d’Etat Mobutu Sese Seko et Joseph Kabila ne se sont-ils pas enrichis par milliards de dollars tout en recourant à la répression violente pour sécuriser leur mainmise économique ? A cela s’ajoutent des intermédiaires, hommes d’affaires occidentaux, asiatiques ou moyen-orientaux, et représentants de grands groupes si prompts à payer en liquide pour sécuriser leurs activités, dont les revenus s’évadent dans des circuits financiers offshore, au grand dam de l’Etat.

Selon un sondage mené par Transparency International, 80 % des Congolais ayant été en contact avec un service public ont eu à payer un pot-de-vin. Au sein de l’élite, les commissions se chiffrent parfois en millions de dollars. De quoi freiner l’enthousiasme d’investisseurs étrangers.

Face à un tel tourbillon d’acteurs et de pratiques corruptives tirant profit de la faiblesse des institutions et obérant l’économie, le président Félix Tshisekedi, investi le 24 janvier suite à une élection controversée, a appelé au « changement des mentalités ». Il a d’abord prôné une « approche répressive contre les intouchables corrupteurs et corrompus d’hier et d’aujourd’hui ». En attendant la mise en place d’une agence dédiée, il s’est tourné vers la justice – elle aussi en partie rongée par des magistrats « achetables » – pour demander des enquêtes sur des élus soupçonnés de corruption et a exigé des sanctions exemplaires. Certains députés ont été déchus.

Mais des grandes figures de la corruption et des détournements de fonds présumés ont été maintenues en fonction par le chef de l’Etat. Tel qu’Albert Yuma, à la tête de la société minière d’Etat, Gécamines, l’un des épicentres de ce fléau. Richissime et influent patron des patrons, ce proche de l’ancien président Joseph Kabila qui a vainement tenté de l’imposer comme premier ministre à son allié et successeur Tshisekedi conserve ainsi sa position surplombante. M. Yuma, symbole et coryphée de certains crimes économiques commis sous l’ancien régime, peut continuer d’œuvrer, laissant craindre une sorte d’impunité rétroactive dénoncée par la société civile congolaise.

La prétendue « croisade » contre la corruption semble ainsi avoir achoppé sur une première capitulation. La seconde porte sur le scandale des 15 millions de dollars de détournement présumé révélé à la rentrée par l’Inspection générale des finances qui oriente les soupçons vers le directeur de cabinet du chef de l’Etat. « En arrivant au pouvoir, ma philosophie a été de tirer un trait sur le passé (…) On peut repartir avec ceux qui ne se sont pas trop compromis, a expliqué le président Tshisekedi lors d’un entretien accordé à TV5 Monde et au Monde, en septembre. Je n’ai pas à fouiner dans le passé. Trop de travail m’attend (…) La corruption a été endémique et banalisée. Je reconnais que cela continue sous mon mandat. Tout ne peut pas changer en un jour. »

Marge de manœuvre réduite

Pour un Congolais, dénoncer la corruption à grande échelle pratiquée par les dirigeants est un exercice périlleux. Le banquier Jean-Jacques Lumumba le sait peut-être mieux que personne. En 2016, il a quitté son pays après avoir signalé à ses supérieurs et au cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC) des opérations suspectes constatées au sein de la filiale locale de la BGFI, une banque gabonaise prisée par les familles régnantes de la région pour y blanchir des détournements de fonds publics. A Kinshasa, elle est dirigée par Francis Selemani Mtwale, un intime de Joseph Kabila – présenté comme son frère adoptif –, alors président malgré la fin de son dernier mandat. Craignant pour sa vie, Jean-Jacques Lumumba s’est exilé en région parisienne où il s’est mué en lanceur d’alerte et militant anti-corruption qui vient de lancer sa plateforme panafricaine, UNIS.

« Pour changer un pays aussi pourri que la RDC sur le plan du système politico-économique, il faut prendre des risques et des mesures fortes. Pour l’instant, Félix Tshisekedi fait montre d’une volonté molle de bousculer les lignes », constate le financier de 33 ans, petit-neveu de Patrice Emery Lumumba – figure de l’indépendance et premier ministre assassiné le 17 janvier 1961. Il est sorti déçu d’un entretien avec le chef de l’Etat qui s’est tenu en mars, à Kigali, la capitale rwandaise. « J’espérais une judiciarisation de la corruption sous Joseph Kabila. En vain. Rien de concret n’est ressorti de notre discussion sur la lutte anti-corruption », déplore-t-il.

Félix Tshisekedi évolue dans un contexte de cohabitation délicate et incertaine avec le camp de son prédécesseur, dont les partisans sont majoritaires au Parlement, dans les Assemblées provinciales, et au gouvernement. « Le problème essentiel, c’est que Tshisekedi n’est pas libre d’être libre », observe l’historien Isidore Ndaywel e Nziem. Sa marge de manœuvre est réduite. Sa lutte contre la corruption a des limites à ne pas franchir, des personnalités à épargner, des enquêtes qu’il peut être risqué de démarrer.

Source: Lemonde.fr

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